David Jeker David Jeker

Nourrir ses rêves

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Quand vient le temps de discuter d’alimentation en course d’ultra-endurance, les avis sont très partagés. Ceci-dit, la littérature scientifique à ce sujet est somme toute assez abondante et les recommandations sont claires. Avant de me lancer, je tiens à préciser que je ne suis pas nutritionniste, mais chercheur en sciences du sport. Les éléments présentés dans les lignes suivantes sont basés sur mon interprétation de la littérature scientifique ainsi que mes expériences d’entraîneur et d’athlète. Je m’en tiendrai aux stratégies à utiliser durant la course. Je laisse les professionnels de la nutrition vous dire quoi manger avant et après l’effort.

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Quoi manger pendant un ultra?

Des glucides. Quelle que soit votre idéologie concernant les régimes alimentaires, les méthodes visant à maximiser votre capacité à brûler des graisses ou vos croyances personnelles, l’objectif est toujours le même : épargner les réserves de glycogènes. Le glycogène est la forme sous laquelle les glucides sont stockés dans le corps et ces réserves sont limitées à environ 500 grammes (2000 kcal). Toutefois, même un athlète très mince possède beaucoup d’énergie en réserve sous forme de graisses et comme il est plus difficile de digérer des lipides que des glucides, il n’est absolument pas logique de consommer des lipides durant l’exercice. Ceci est vrai même si vous suivez un régime cétogène. Bref, on veut principalement utiliser les glucides que l’on mange et les lipides de nos réserves pour avancer.

Quelle quantité et à quelle fréquence?

Pour les épreuves de plus de 2h30, on recommande de consommer 90 grammes de glucides par heure. Par exemple, une barre de fruit XACT contient 25 grammes de glucides. Il faudra donc en consommer entre 3 et 4 par heure de course pour optimiser ses performances. Il est impératif de commencer à s’alimenter tôt pendant la course pour éviter d’utiliser prématurément ses réserves de glycogène. De Par exemple, je consomme généralement une portion dès la quinzième minute. Une fréquence que je maintiens généralement toute la course. Oui, ça fait beaucoup, mais même 120 grammes de glucides par heure (500 kcal), ça reste une quantité nettement inférieure à la dépense énergétique. Une étude récente à d’ailleurs montrée qu’une dose de 120 grammes par heure était supérieure à une dose de 90 grammes pour des athlètes de haut niveau lors d’un marathon en montagne (2000 m D+). À ces doses plus grandes, il est important de porter attention au ratio glucose-fructose pour maximiser l’absorption. Un ratio près 1:1 est considéré idéal et comme plusieurs aliments contiennent principalement du saccharose, un sucre combinant une molécule de glucose et une molécule de fructose, le ratio est souvent proche de cet idéal. Les produits contenant majoritairement de la maltodextrine, un glucide complexe composé uniquement de glucose, peuvent être plus difficiles à absorber en grande quantité. Aussi, il est important de savoir que pendant l’exercice, le corps ne produit pas autant d’insuline qu’au repos. Ça évite que le sucre consommé soit mis en réserve alors qu’il est nécessaire pour fournir l’énergie aux muscles actifs. Le rationnel supportant une consommation restreinte de sucres simples au quotidien ne s’applique donc pas à sa consommation durant l’exercice.

On peut très facilement transporter plus d’une vingtaine de ces merveilles dans une free belt

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Même chose pour tous les athlètes?

L’absorption intestinale ne dépendrait pas du niveau ou du poids de l’athlète. Ça veut dire qu’un athlète plus léger, donc nécessitant moins d’énergie qu’un coureur plus lourd pour se déplacer à une allure donnée, devrait théoriquement pouvoir compenser une plus grande partie de sa dépense énergétique pendant une course. C’est possiblement aussi le cas pour un athlète moins rapide qui pourrait aussi remplacer une part plus importante des glucides qu’il brûle pendant une course. Même à basse vitesse, il est pratiquement impossible de remplacer toute l’énergie dépensée. On estime qu’on dépense environ une kilocalorie par kilomètre-effort par kilogramme de masse corporelle. Par exemple, une athlète de 60 kg va donc brûler 2280 kcal pour compléter le 28 km de l’Ultra Trail Harricana (1000 m D+). Ça fait quand même 650 kcal par heure de course pour un chrono de 3h30.

Comment éviter les problèmes digestifs?

Il est important de comprendre que la consommation de glucides pendant l’exercice est le meilleur moyen de maintenir un apport de sang vers le système digestif ce qui permet d’éviter les troubles digestifs. En plus d’optimiser la performance, un apport abondant et constant en glucides permet aussi d’éviter les ennuis. Indépendamment de la performance, il est donc recommandé de consommer un minimum de 60 grammes de glucides par heure d’activité lors d’un exercice prolongé. Le sentiment d’être écœuré de manger du sucré est possiblement lié à un système digestif qui fonctionne au ralenti et arrêter de s’alimenter est alors la pire des solutions. Il est d’ailleurs important de pratiquer sa stratégie nutritionnelle de compétition pendant certaines longues séances d’entraînement puisqu’un apport important en glucides pendant l’exercice permet d’améliorer l’absorption intestinale de ceux-ci. En fait, la consommation quotidienne d’une grande quantité de glucides, ce qui est généralement le cas si vous faites beaucoup d’exercice, permet déjà d’améliorer l’absorption des glucides.

Et les protéines durant l’effort?

La science est moins claire là-dessus. Les études qui ont montré un avantage à la consommation de protéines durant l’exercice sont généralement celles qui ajoutent les protéines à des glucides. Dans ce scénario, l’effet bénéfique serait plutôt lié à un apport calorique plus important. Les études qui remplacent une part de glucides par des protéines ne montrent généralement pas un effet significatif sur la performance. Ceci-dit, à moins d’avoir un effet néfaste sur l’absorption, la consommation de protéines durant l’effort ne devrait pas avoir d’effet négatif. Toutefois, même si c’est anecdotique, de mauvaises expériences personnelles avec des boissons de l’effort contenant des acides aminés m’amènent à croire qu’il vaut mieux que je m’en tienne aux glucides. Sur un ultra extrêmement long qui dure plus d’une journée, il devient plus logique de consommer des protéines. Il y a aussi de forte chance qu’une partie de l’apport calorique soit alors sous forme de vraie nourriture et celle-ci contiendra certainement des protéines.

La stratégie parfaite?

Partant du principe que, pour la plupart des humains, il serait avantageux de boire selon sa soif lors d’une épreuve d’ultra-endurance, je préfère boire uniquement de l’eau et ainsi avoir une stratégie nutritionnelle entièrement indépendante de ma stratégie d’hydratation. Il est évidemment possible de consommer une partie de ses glucides sous forme liquide. Attention toutefois à bien estimer la concentration pour éviter de vous forcer à boire au-delà de votre soif pour atteindre votre objectif calorique. Je trouve plus simple de consommer une portion à un intervalle de temps régulier et je programme une alerte sur ma montre pour m’aider à maintenir le rythme. Par exemple, une pâte de fruit XACT au 15 minutes. Ça me donne 100 grammes de glucides par heure. Je peux toujours ajuster selon mes sensations. En réduisant la dose si je sens que la digestion est difficile et en l’augmentant à la moindre pensée négative ou baisse de motivation. Pour moi, l’intervalle entre chaque portion restera généralement entre 12 et 20 minutes (75 à 125 grammes de glucides par heure). Contrairement à la soif, la faim n’est vraiment pas un indicateur fiable durant l’exercice… On va généralement ‘bonker’ bien avant d’avoir faim! Aussi, ne pas avoir envie de manger sa portion de glucides est un bon signe qu’il faut absolument la prendre et ainsi éviter de se retrouver avec un système digestif qui fonctionne au ralenti.

Et les ravitaillements?

À mes yeux, les ravitaillements sont surtout pratiques pour remplacer une portion par de la vraie nourriture. La plupart des aliments disponibles ne sont pas facilement transportables, donc je préfère avoir ma propre nourriture pour être autonome entre les ravitaillements. Même si vous avez terriblement envie de manger salé, il vaut mieux éviter les arachides ou les chips (à moins que celles-ci soient cuites au four, donc plus faible en gras). L’utilisation des lipides, particulièrement des lipides à chaînes longues, n’est vraiment pas efficace durant l’exercice. Ceci-dit, l’envie de manger salée ne doit pas être ignoré, il faut simplement s’en tenir aux options salées qui sont à la fois riches en glucides ou simplement ajouter des électrolytes à votre eau. Pour moi, les meilleures options aux ravitaillements sont les pommes de terres salées et les boules de riz.

Patates salées au Bromont Ultra

Patates salées au Bromont Ultra

Un exemple concret?

Pour un ultra comme le 125 km Harricana qui devrait me prendre environ 14 heures à compléter, je compte qu’il me faut 55 portions d’environ 25 grammes de glucides. Il y a dix ravitaillements sur le parcours, dont 9 avec de la nourriture. Il me faut donc 44 pâtes de fruit XACT, 22 sur moi au départ et 22 dans le sac d’appoint accessible à la mi-course. C’est ce que je fais, mais aussi ce que je recommande. Pas nécessairement les produits XACT, mais ceux-ci sont, à mon avis, difficiles à battre au niveau de la transportabilité, du goût et du rapport calorie-prix. Il est aussi possible que j’ajoute des esters de cétones à ma stratégie, mais ce sujet mérite son propre article.

Tu ne te tannes pas du sucré?

Non et pourtant je n’ai pas du tout la dent sucrée. Comme la plupart des coureurs, j’ai déjà fait l’erreur d’attendre le ravitaillement suivant, celui qui n’arrive jamais, pour manger quelque chose d’autre que ce que j’avais sur moi… Une bonne façon de saboter sa course et de passer à côté d’une opportunité de vivre un ultra parfait.

Que faut-il retenir de tout ça?

L’essentiel est de comprendre qu’il faut manger un minimum de glucides (60 g/h) durant l’exercice pour éviter les problèmes. Après, que ce soit pour maximiser vos performances, vos chances de terminer avec le sourire, votre récupération ou le plaisir que vous prenez à parcourir les sentiers, il vaut mieux en consommer plus que ce minimum. Boire à sa soif et éviter à tout prix la prise d’anti-inflammatoire sont aussi de bonnes façons de ne pas mettre sa santé en danger. Bonne course!

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