Gestion d’ultra
Le but de ce billet n’est pas de vous dire comment gérer vos courses, mais bien de présenter quelques méthodes ou outils qui pourraient vous aider. Même si je crois que mon expérience et mes connaissances m’ont amené à une méthode efficace, il n’y certainement pas de consensus quant à la manière de gérer son allure lors d’un ultra. La recommandation d’usage est de ne pas partir trop vite, mais justement, qu’est-ce qui est « trop vite » ?
Split positif
On sait que le maintien d’une allure constante est idéal lors d’un marathon sur route, du moins pour les athlètes les plus rapides. En ultra endurance, ce n’est pas aussi évident. Les études s’intéressant à la gestion de l’allure sur des épreuves d’ultra-marathon montrent plutôt une diminution de vitesse pour la majorité des athlètes, même chez les plus rapides. C’est assez logique puisque pendant un marathon, on court à une vitesse assez proche de l’allure correspondant au second seuil lactique (ou vitesse critique), il est donc raisonnable de viser une allure constante puisqu’un départ rapide impliquerait de dépasser ce seuil, alors qu’on ne peut théoriquement pas maintenir une allure ou une intensité supérieure à celui-ci plus d’une heure. Lors d’un ultra marathon, plusieurs autres facteurs doivent être considérés et le maintien d’une allure constante n’est pas nécessairement la meilleure stratégie, surtout qu’on dispose alors d’une plus grande marge entre l’allure moyenne visée et notre second seuil. Il serait tout de même être intéressant de tenter de maintenir une intensité relativement constante, plutôt qu’une allure constante. Contrairement aux efforts plus courts, il difficile de calculer ou d’estimer les performances sur des efforts prolongés puisque ses déterminants sont plus nombreux, mais un ralentissement n’est pas nécessairement le signe d’une mauvaise gestion.
Modèle psychobiologique de la performance
Le modèle psychobiologique de la performance en endurance est particulièrement intéressant pour les efforts d’ultra-endurance. Il postule que la régulation consciente de l’allure est déterminée par les cinq facteurs suivant :
La perception de l’effort;
La motivation potentielle;
La connaissance de la distance ou de la durée totale à parcourir;
La connaissance de la distance ou de la durée restant à parcourir;
Les expériences précédentes en terme de perception de l’effort pour des exercices de différentes intensités ou durées.
La motivation potentielle est alors définie comme l’effort maximal qu’un individu est prêt à fournir pour atteindre un objectif et peut être influencée par des facteurs externes. Ce modèle ne nous permet pas de déterminer précisément la performance en ultra, mais il démontre justement pourquoi il est difficile de le faire. C’est un préambule parfait pour la suite de ce texte puisqu’il considère l’importance des sensations, mais ouvre aussi la porte à l’utilisation d’outils. Comme une montre GPS qui permet de savoir où nous en sommes sur un parcours. Le cinquième point fait plutôt appel à notre mémoire et aux sensations. Ces dernières qui le jour d’une course, après une bonne préparation, un affutage judicieux, une surcharge glucidique réussi, une dose ergogénique de caféine, et avec l’excitation de l’évènement, peuvent ne pas être des plus fiables. Il peut alors paraître très facile de maintenir une intensité élevée et on peut alors courir au-dessus de son second seuil sans même avoir l’impression de forcer. Voici donc comment l’utilisation de la fréquence cardiaque, de l’allure normalisée ou de la puissance peut vous aider à tirer le meilleur de vous-même.
Fréquence cardiaque
À mon avis, c’est de loin l’outil le plus intéressant. Évidemment, il faut une mesure précise, donc plutôt une sangle qu’une vulgaire mesure au poignet. C’est aussi plus fiable si nous connaissons la fréquence cardiaque (FC) correspondant à nos seuils physiologiques, mais on peut toujours estimer celle au second seuil à partir d’un effort maximal. Il est aussi possible de simplement se fier à des ultras antérieures pour avoir une idée de ce qui représente une intensité raisonnable pour une durée d’effort donnée. On reproche parfois à cet outil son imprécision en raison de la dérive cardiaque qu’on peut observer lors d’un effort prolongé. En réalité, pendant un ultra, c’est souvent une diminution d’allure pour une intensité constante qui est observée. La fréquence cardiaque peut même diminuer en fin course, malgré toute notre volonté à atteindre l’arrivée tant espérée. C’est souvent le cas lorsque notre apport en glucides est insuffisant ou lorsque nos muscles ne supportent plus nos ambitions. Même dans ces situations, la FC demeure un bon indicateur de l’intensité réelle de l’exercice (la consommation d’oxygène).
Allure ajustée pour la pente
Un outil que j’utilise depuis ma première saison en Trail en 2014. Vous connaissez peut-être le GAP Strava (Grade adjusted pace), mais peu savent qu’il est possible d’avoir cette donnée en direct sur son poignet. À ma connaissance, on peut l’avoir sur les montres Garmin et Suunto. Il est alors possible de savoir à quoi correspond notre allure si nous étions sur le plat, par exemple courir à 6 min/km sur une pente de 8% correspond environ à du 4 min/km à plat. Le calcul est basé sur des moyennes métaboliques issues d’études s’intéressant au coût énergétique en montée. Personne ne devrait dévier beaucoup de ces références, donc c’est assez précis. Au fait, j’ai ajouté un calculateur à cet effet sur mon site. Comme pour la fréquence cardiaque, il est intéressant de connaître ses zones ou de se référer à d’anciennes performances. Puisque la fréquence cardiaque met tout de même un certain à se stabiliser suite à une variation d’intensité, cet outil est un complément intéressant en raison de sa réactivité. Cette donnée est particulièrement pratique dans les premiers kilomètres d’une course ou lorsque la pente varie subitement. Cet outil est aussi très intéressant pour savoir quand passer de la marche à la course et vice-versa. Le bémol est qu’une détérioration de votre économie de course, peu importe la raison de celle-ci, ne sera pas prise en compte, ni la technicité du terrain, ni le poids de votre sac, ni les conditions ambiantes... Sur certains parcours, pour des efforts très long ou en conditions chaudes, la fréquence cardiaque est souvent un meilleur repère.
Puissance de course
Je ne suis pas un fan de l’utilisation de la puissance en course à pied parce que je ne crois pas que ce soit une valeur qui parle au coureur. Le principe est exactement le même que pour l’allure ajustée, la montre calcule aussi un équivalent métabolique, mais donne une puissance produite plutôt qu’une allure équivalente. Même les systèmes utilisant un capteur sur la chaussure, ne mesurent pas la réelle puissance produite par votre pied... À mes yeux, un outil comme le capteur Stryd n’est intéressant que pour la validité de certaines données biomécaniques qu’il mesure, mais certainement pas pour la puissance. Comme pour la FC et l’allure, il est possible d’obtenir des zones de puissance précises suite à test par paliers. Ceci-dit, même en connaissant mes seuils de puissance de course, il m’est difficile de savoir ce qu’il m’est possible de maintenir sur une large fourchette de durée. Tout simplement parce que je manque de références alors que j’en ai tout plein pour l’allure. Par exemple, je sais que j’ai déjà pu courir un marathon à 3 :36/km, que j’ai déjà couru 50 km à 3 :58/km, que j’ai déjà maintenu une allure ajustée de 4 :40/km pendant 6h50 et couru un peu plus vite sur un parcours un peu plus court. Cependant, je ne connais pas la puissance correspondant à ces efforts (je pourrais m’amuser à la calculer, mais j’ai d’autres trucs plus amusants sur ma liste). Avec les années, on accumule des expériences, on peut même se souvenir des sensations et c’est assez facile de retenir les bonnes performances et de comparer les allures (voir figures ci-dessous). Bref, la puissance ne serait utile seulement pour ceux qui courent depuis longtemps avec cette donnée, mais elle ne serait en rien supérieur à l’allure normalisée. En fait, ne-serai-il pas plus intéressant que la valeur de puissance soit justement convertie en allure à plat ?
Sensations
Au final, c’est tout de même la perception de l’effort qui viendra dicter votre allure. C’est d’ailleurs par l’entremise de cette perception de l’effort que la physiologie est pris en compte dans le modèle psychobiologique présenté plus tôt. Comme Greg Lemond le disait : « Ça ne devient pas plus facile, on va seulement plus vite » (traduction libre). Les outils présentés ne servent qu’à nous aider dans l’interprétation de nos sensations et nous permettent parfois de réviser ce qui nous est possible, dans un sens ou dans l’autre, pour le meilleur et pour le pire.
Ce que je fais
Ayant moi-même connu quelques défaillances sur ultra, je vous rassure en précisant que la méthode discutée ici est celle utilisée lors du Québec Méga Trail (QMT) et constitue l’évolution logique de ce que j’avais fait au Bromont Ultra l’an dernier. Pour un parcours technique comme celui du 50 km du Québec Méga Trail, j’utilise principalement la FC, mais un peu aussi l’allure ajustée. Dans les deux-cas, je m’assure de rester sous mon second seuil lactique sur le plat et en montée. En descente, j’y vais plutôt aux sensations et mon allure dépendra alors beaucoup de ma préparation. Au QMT, j’essayais quand même de pousser suffisamment en descente pour rester en zone 3 de FC. Au final, ma fréquence cardiaque était quand même souvent en zone 2 en fin de course puisque ce sont plutôt mes muscles qui m’auront limités. Au final, même si ma gestion de l’effort était bien meilleure que l’an dernier, où j’avais passé beaucoup trop de temps en zone 4 en début de course, ma performance est légèrement moins bonne (environ 2 minutes plus lente qu’en 2021 si on enlève les portions ajoutées au parcours). Il faut dire que j’étais nettement mieux préparé pour la course l’an dernier. Une bonne gestion ne remplace pas une bonne préparation. Sur des parcours plus roulant, je me fie un peu plus à l’allure ajustée et quand j’étais en Suisse, j’aimais bien utiliser la vitesse ascensionnelle dans les montées abruptes. Finalement, j’utilise aussi un capteur CORE qui me donne une estimation de ma température corporelle. Une valeur qui m’intéresse surtout pour optimiser mon entraînement à la chaleur et que je ne regarde pas vraiment en compétition.
Conclusion
Même s’il est possible de voir une certaine pureté chez ces athlètes qui courent à l’instinct et qui se moquent de tout outil pouvant les aider dans l’atteinte de leurs objectifs, il y a aussi un peu d’inconscience chez ceux-ci. Ayant déjà laissé mon ego dicter mon allure, j’en sais quelque chose. Libre à vous de suivre mes conseils, mais je vous assure que la satisfaction d’une course bien gérée dépassera toujours celle d’avoir « tenté le coup ». À un moment donné pendant un ultra, il faut parfois prendre des risques pour se surprendre et se surpasser, mais se faisant, il faut être soucieux de ses limites et conscient qu’à chaque fois, on risque de se briser le cœur. On risque de perdre l’envie de reprendre un jour le départ d’une de ces courses qui nous font tant vibrer. Pour atteindre cet idéal, cet ultra parfait, si cher à notre cœur, peut-être suffit-il justement de l’écouter et de ne pas le laisser s’emballer ? Bref, faites-vous confiance, mais ne partez pas trop vite!
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